"L'éducation ne consiste pas à gaver mais à donner faim."

"L'éducation ne consiste pas à gaver mais à donner faim."

"Un enfant n'est pas un vase qu'on remplit, c'est un feu qu'on allume." (d'après Michel de Montaigne)

27/04/2022

Écrire et réciter un texte à partir d'une oeuvre d'art

 Plan lector /Plan Almazuela

Atelier d’écriture à partir d’œuvres d’art. 

Hopper (1882-1967) est, par excellence, un artiste pour l’imaginaire. Tous ses tableaux, porteurs d’une ambiance énigmatique, ont une capacité extrêmement forte à raconter une histoire. Voici une petite sélection de récits imaginés par nos élèves…Merci à tous pour votre participation!


Compartment C, Car 29. Edward Hopper.

Récit: Paula de la Torre Gutiérrez (B2HIN)


Ma chère fille, 

Si tes mains tiennent ce document, je crains qu’il me reste peu de choses à dire. Je suppose que, déjà enterré, tes yeux sont enfin secs…  et tu dois en avoir sans doute ras-le-bol, désirant que toute la paperasse finisse par liquider ma mort une bonne fois pour toutes. 

Béatrice a esquissé un sourire amer. Même quand il avait quitté ce monde, son père avait les pieds sur terre ; vraiment, ces jours avaient été très intenses, plein de sentiments. Et, à ce moment-là, après une semaine éternelle à signer des documents interminables, la dernière chose qu’elle voulait faire était de lire cette lettre. Béatrice a soupiré et a regardé la nuit à travers sa fenêtre. Sa destination serait-elle encore loin ? Le voyage venait de commencer, et déjà, elle avait hâte d’arriver. 

Bon, je serai bref ; je voudrais que tu respectes ma dernière volonté. Probablement tu te demandes pourquoi toi, qui es la cadette de trois femmes disciplinées, dois te farcir une telle tâche, n’est-ce pas ? Laisse-moi te dire, cependant, que toi seule peux soulager mon inquiétude… 

Tu vois, mes dernières années ont été fatigantes ; pour moi, pour vous… Enfin, on se comprend. Il n’était pas facile de vivre comme ça, dans les limbes entre la vie et la mort, en sachant qu’Elle est proche, qu’Elle apparaîtra à n’importe quel moment… Moi, je suis la victime de cette maladie méchante, mortelle ; je l’ai subie, je l’ai injuriée, je l’ai haïe. Et finalement, je l’ai acceptée. Ma mort m’appartient autant que la vie m’appartient. Voilà tout ; c’est une leçon que tout le monde devra apprendre un jour. Mais pas vous, qui êtes dans la fleur de l’âge… Vous ne méritiez pas toute cette souffrance ; et surtout toi, tu es trop jeune… Tu étais trop jeune…

« Ma petite Béa » ne l’est plus. Tu as grandi, Béatrice. Du jour au lendemain, tu as remplacé tes jouets par l’argent, le lycée par le travail. Et ça aurait été bien, si cela s’était passé d’une façon naturelle. En tant que père, je peux dire qu’il n’y a aucune torture plus grande qu’avoir observé, impuissant, comment l’innocence s’effaçait de tes yeux, comment ton regard devenait glacial et sceptique à mesure que tu te familiarisais avec ma Mort. Je te jure que ça me faisait beaucoup plus de mal que n’importe laquelle de mes maladies et douleurs ; je pouvais supporter l’idée de mourir - c’est ainsi, mais j’avais des cauchemars en pensant à ton futur, en pensant que je pouvais te laisser des traces traumatisantes à vie…   

Voilà, Béa, ma dernière volonté : je veux que tu tournes la page et vives heureuse ; que tu réapprennes à t’accrocher aux petits choses qui ne vont pas durer, que tu jouisses du séjour. Tu te souviens, Béatrice, du sens de ton prénom ? Il provient de Viatrix, « voyageur à travers la vie ». Je dois admettre que, au début, il ne me convainquait pas du tout, mais j’ai changé d’avis quand tu étais petite et tu jouais à toute heure. Je n’ai jamais vu quelqu’un si heureux et insouciant. Ton rire était contagieux… il me manque, et sûrement, à ta mère et sœurs aussi. Pour elles et pour toi-même, je voudrais que tu fasses un effort. Et, s’il te plaît, prends soin de tes sœurs ; elles peuvent sembler très fortes, mais ne t’y trompe pas ; au fond, elles sont aussi fragiles que toi et que moi – il faut que tu le prennes en compte. 

Bon, ma chère fille, c’est tout. Je ne sais pas si j’ai pu te dire au revoir correctement, d’une manière délicate, simple et émouvante qui transformerait tes larmes de peine en joie. Mais je ne serai pas capable de le faire, alors, je serai bref : adieu, je t’aime.

Ton père,

Julien.


Béatrice a fini de lire et a levé la tête lentement. La vitre offrait un paysage pauvre de champs stériles, mais cela lui semblait spectaculaire. Les monotones secousses étaient du coup apaisantes et mélodiques. Pendant qu’elle retirait sa montre, Béa s’est séché les larmes qui étaient apparues sur ses yeux. « Tu l’as fait, papa. Merci. » 

                                                Hotel Lobby. Edward Hopper.

Récit: Uman Muhammad Murakami (B2HD)

« Chère mademoiselle Dorian. J'ai le malheur de vous annoncer que votre père, monsieur Dorian, est mort après avoir souffert une maladie qui l'a torturé pendant plusieurs jours. On vous attend à Lyon ». 

Ce télégramme avait été écrit par Maximilien, un vieil homme avec lequel mon père avait travaillé depuis des décennies dans son hôtel à Lyon. Apparemment, papa, en étant sur son lit de mort, il avait souhaité que tous ses enfants aillent à ses funérailles, et ça, pour le meilleur et pour le pire, m'incluait. François, Victor et Eugénie ont toujours été là pour s'en occuper. Mais moi... J'avais peur de n'être pas bienvenue après toutes ces années. Finalement, après avoir pesé le plus et le contre pendant quelques heures, j'ai décidé d'y aller. Le voyage a été épuisant. Après plusieurs heures, j'y suis finalement arrivée. Maximilien m'attendait. Il n'avait pas changé pendant toutes ces années. Ses cheveux blancs, son costume, son sourire quasiment inexistant... C'était comme si j'étais encore une petite fille... Nous sommes montés dans sa voiture. Le voyage a été silencieux, car aucun d'entre nous n'avait rien à se dire. Il avait l'air frivole, comme s'il ne me connaissait pas, même s'il avait pris soin de moi quand j'étais petite. Finalement, nous sommes arrivés à l'hôtel qui appartenait à mon père. Tout le monde nous y attendait. Il y avait des visages que je n'avais pas vu depuis mon départ il y a bientôt dix ans. Leurs regardes étaient futiles. Ils murmuraient. Je ne pouvais pas les entendre, mais je suis sûre qu'ils étaient en train de dire "Regarde ça. La fille de monsieur Dorian, après avoir disparu, reviens comme si de rien n'était". J'avais honte. Il fallait que je sorte. Je suis allée au hall de l'hôtel.

Une dame s'est assise devant moi. Elle lisait un roman. Elle m'a demandé la raison pour laquelle j'avais l'air triste. Après lui avoir tout raconté, Maximilien est arrivé. "Est-ce que vous ne le savez pas ? Rien de ce que vous avez vu n'est réel. Ce n'était qu'un cauchemar qui finira dans trois secondes. Un, deux, trois..." Je me suis levée soudain. J'étais chez moi. Tout avait été un cauchemar. J'ai décidé de prendre mon petit-déjeuner. En buvant un café, je reçois un télégramme: 

« Chère mademoiselle Dorian... »


                                        CAPE COD EVENING. EDWARD HOPPER 

Récit : Lucía Gil Díez (B2HC)

    Je sors à l’entrée de la maison avec la tranquillité d’avoir terminé le travail d’aujourd’hui. Paul y est assis, il semble qu’il ait aussi terminé sa journée. On ne dit rien et ce n’est pas nécessaire puisque le silence entre les deux ne nous sépare pas, ce n’est pas gênant. J’ai toujours apprécié les rares personnes avec qui le silence devient une forme de communication à travers laquelle nous nous synchronisons. 

Tandis que cela me traverse l’esprit, je m’appuie sur la façade et je contemple le crépuscule. Les rayons du soleil se couchent sur le champ en baignant d’or les prairies, les arbres, les herbes séchées, nos visages... Les ombres s’allongent comme si elles voulaient résister à disparaître et essayaient de voler quelques secondes dans la nuit. Cependant, le soleil se cache lentement derrière des collines de l’ouest. La mélancolie rejoint la tranquillité que je ressens et je comprends maintenant l’agonie des ombres. Comme à elles, le jour m’échappe, une autre fois. 

Je vois comment tout suit son cours : les oiseaux retournent aux branches des arbres, la température descend, le blanc de la lune gagne intensité et Paul et moi allons bientôt entrer pour dîner. Je dirais que c’est même scandaleux que tout reste pareil, indifférent, comme si rien n’était passé. Je tremble en y pensant, donc je cherche  Lulu, son chien, avec le regard pour me consoler. Il observe l’horizon anxieux en l’attendant. Il y a des mois déjà depuis la dernière fois que sa voiture rouge est apparue en tournant la route à cette heure-ci. Parfois, je me sens coupable de ne pas penser à elle tout le temps. Quand je dîne, je ne regarde pas toujours sa chaise vide, parfois je suis même habituée à qu’elle ne soit pas là. Je suis terrifié à l’idée de lui oublier, même si je sais qu’elle me manque constamment.  

Le soleil a complètement disparu et Paul se lève et rentre chez nous. Je le suive, mais je me tourne un moment pour regarder le paysage avant de fermer la porte derrière moi. La nuit est étoilée et le clair de lune me laisse entrevoir les silhouettes des arbres. Je vois Lulu, je soupire et je ferme la porte. Il l’attend toujours. 

                                                AUTOMAT. EDWARD HOPPER

RÉCIT : CANDELA MARTÍNEZ (B2HIN)

    Il est dix heures du soir et je sors comme d’habitude. Je marche entre les lampadaires qui m’aveuglent quand ils m’éclairent. Quand j’entre dans le métro, je me fonds dans la foule. 

En sortant de l’entrée du métro je m’assieds, comme tous les jours, devant une tasse de café de l’Automat. Quels appels téléphoniques vais-je recevoir ce soir ? Peut-être qu’une femme au foyer me demandera des conseils sur son mariage sexuellement inactif, ou peut-être qu’un adolescent me demande comment quitter sa petite amie, ou peut-être qu’une vieille dame solitaire me demande de prédire sa mort. 

J’ai passé quatorze ans à m’occuper des misères autour de moi passant huit heures chaque nuit. 

C’est possible que je sois dans un Automat parce que cela me réconforte de penser qu’il y a quelque chose de plus dans cette vie qui est programmée, qui est routinière, circulaire, incessante.  

Je mets un de mes gants, je prends ma dernière gorgée de café (déjà froid) et je me lève. En regardant par les fenêtres, la ville vide et solitaire se moque de moi. Et comme toujours je l’ignore, et j’oublie à nouveau sans effort que ce café « Automat » n’est rien de plus qu’un reflet de moi-même. 



Ce matin nous sommes passés par le studio d'enregistrement du lycée et avons appris à enregistrer le Podcast de notre émission radio. Merci encore à tous les participants ! Je poste une petite photo souvenir…À plus!

 


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