"L'éducation ne consiste pas à gaver mais à donner faim."

"L'éducation ne consiste pas à gaver mais à donner faim."

"Un enfant n'est pas un vase qu'on remplit, c'est un feu qu'on allume." (d'après Michel de Montaigne)

25/10/2013

Contre les assassins de la langue française



Buzz, best-of, news, geek : mon "coming out" contre les assassins de la langue française



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LE PLUS. Vous avez prévu de partir en week-end ? De lire un bon best-seller ou d'aller voir ce film qui a fait le buzz sur le net après un teasing de folie ? Ou peut-être préférez-vous faire du cocooning, surfer sur le net et liker les dernières pics de vos amis sur Facebook ? Yves Paccalet, lui, a décidé de faire son coming out en déclarant la guerre aux anglicismes : non, parler franglais n'est pas "fun".

Édité par Rozenn Le Carboulec  Auteur parrainé par Guillaume Malaurie



Et vous, parlez-vous le "franglish" ? (image d'illustration)

En 1964, il y a presque un demi-siècle, le linguiste Étiemble publie un fameux pamphlet : "Parlez-vous franglais ?" Il y épingle les promoteurs du "sabir atlantique" qui assassinent la langue française en la farcissant d’anglicismes. Il a raison, et cela ne s’arrange pas, hélas !

Les "franglophones" se multiplient plus vite que des bactéries OGM dopées aux perturbateurs endocriniens. Ils nous font régresser vers ce qu’Étiemble appelle le "babélien". Ils oublient de franciser les mots fabriqués aux États-Unis. Ils tentent d’imposer leur flemmardise orale ou écrite au nom de la "modernité". Ils nous vendent une "nouveauté" de pacotille, sous prétexte que les termes qu’ils utilisent son importés du "Nouveau monde". Tels les Diafoirus de Molière, ils établissent une pitoyable domination sur leurs clients ou leurs patients en recourant au jargon.

Étiemble était un lettré universel et un spécialiste de Confucius, preuve qu’il n’incarnait pas une France refermée sur sa francitude, comme en rêvent les militants du Front national et de la moitié droite de l’UMP. Il goûtait l’œuvre d’Arthur Rimbaud, dont il disait que les commentateurs l’avaient "plombée par crétinerie". Il haïssait la "crétinerie" collatérale des meurtriers du français, qu’il vitupérait obstinément.

Qui sont donc ces "linguicides", ces "phonocides", ces "francocides", ces baragouineurs à la mode (ils disent "in"), ces ennemis de Molière et de Voltaire, ces croque-mort de Stendhal et de Proust ? Ils sont peu nombreux, mais socialement et financièrement puissants. J’en distingue cinq familles principales : les économistes et les "managers" (bien nommés) ; les professionnels de la publicité et du "marketing" (évidemment) ; les journalistes sportifs ; les journalistes-présentateurs-animateurs de "news", "talk shows" et autres "entertainments" (ou bouffonneries) dans les médias ; "last but not least", les prescripteurs et les gros utilisateurs d’internet. Je note, au passage, qu’on aurait dû traduire "internet" par "Entrefilet", rien que pour rabattre le caquet de ce monstre.

1. Les économistes et les "managers"

Ils n’ont à la bouche que le "trend" au lieu de la "tendance", le "gap" pour le "fossé", le "Gross Domestic Product" à la place du "Produit intérieur brut", quand il ne s’agit pas du sinistre "ebitda", dont même les prix Nobel de la discipline ont oublié que c’est l’acronyme d’"earnings before interest, taxes, depreciation and amortization". "Amortization mon c… !", pouffe Zazie dans le métro.

Je ne parle ni du "boss", ni du "job", ni du "free lance", du "leadership", du "partnership", du "process", du "hard discount", du "timing", du "brainstorming" ou du "benchmark". Ni de la "deadline", ni de ces "managers" obsessionnels de la "jet set", atteints du "jet lag", qui veulent "booster" le "cash flow" et leur "business plan" en utilisant le "dumping", le "low cost" et les "meetings" sur le "web", illustrés de "slides" sur "Power Point"…

2. Les professionnels du "marketing"

Les professionnels du "marketing" (pourquoi pas du "marchandisage" ?) se persuadent qu’en américanisant le nom et l’emballage de leurs produits, ils en vendent davantage. Ils font du "packaging" et du "teasing", ils envoient des "one shot" ou des "flyers" à des adresses de "listings", en comptant sur l’efficacité de leurs "lobbies" auprès des législateurs.

Moins l’américanisation marche, plus ils américanisent, jusqu’à succomber au "burn out". Les voilà cramés ? Excellente nouvelle ! Je leur dis : "RIP", ce qui signifie en latin "Requiescat in pace" (en français : "Repose en paix"), et ne constitue nullement "une abréviation anglo-saxonne nouvelle", comme je l’ai entendu l’autre jour, à la radio, dans la bouche d’un animateur-bonimenteur célèbre jusque chez sa concierge.

Le marchandisage à consonance américaine produit en moi un effet de rejet plutôt agréable. Je n’achète rien de ce qui détruit la langue française pour me corrompre. J’allais naguère faire mes courses chez Carrefour : je n’entre plus ni à "Carrefour Market", ni à "Carrefour Simply". Si je devais me payer une voiture automobile, ce ne serait ni une "Motion and emotion", ni une "Creative technologie" (sic ; ils n’écrivent même pas "technology" !), ni un 4 x 4 rebaptisé "Crossover" parce que le tout-terrain puant et polluant est devenu ringard…

3. Les journalistes sportifs

Ils sont au moins aussi gonflants, par leur abus du franglais, que les stéroïdes anabolisants dont leurs héros (et gagne-pain) se farcissent les pectoraux, les mollets et la tête, alouette ! J’ai besoin d’un "jogging" quotidien, de séances de "training" ou de "stretching", d’un "coaching", d’un "sponsoring" et d’un revigorant "doping", pour rédiger ce paragraphe empli de "smashes", de "dunks", d’"aces", de "tie breaks", d’"up and under", de "mauls", de "pars", de "birdies", de "steeples" ou de "cross countries".

Je reste "fair play", contrairement aux "hooligans" qui salissent l’image de nos footeux (tiens ? une francisation…), ces petits crétins richissimes qui "shootent", "tacklent", "dribblent" ou "scorent", font du cinoche dans la surface et tirent le "penalty" plus vite que leur ombre ; avant de passer devant leurs "fans" et leurs "supporters" sans leur jeter le moindre regard, les écouteurs aux oreilles, la gourmette d’or au poignet et la clé de la Ferrari prête à faire rugir le fauve…

4. Les journalistes-présentateurs de "news"

Non seulement les journalistes-présentateurs-animateurs de la radio-télévision assassinent notre langue, mais ils en sont fiers. Ils s’en gargarisent et se congratulent. En France, on les trouve, jusqu’à la caricature, dans les locaux et dépendances du groupe Canal Plus, en particulier à I-Télé.

Rien n’est plus pathétique que ces passeurs de plats de l’actualité, qui ne jurent que par le "talk show", le "prime time", le "buzz", le "scoop", le "teaser", le "thriller", la "sitcom", le "remake", le "one man show", le "hit parade", le "best-seller" et le "box office" ; qui ne pratiquent pas l’entretien, mais l’"interview" ; qui se démènent pour que leurs auditeurs ne les envoient pas dans l’enfer du "zapping" ; qui ne connaissent pas la "semaine de la mode", mais la "fashion week" ; qui ne savent pas traduire "story telling" par "raconter une histoire" ; qui se gargarisent de leurs "special events" ad nauseam comme on dit en latin ; "until all of us shall puke" comme on ne dit pas en anglais.

Le comble du ridicule gonflé et gonflant est atteint lorsque, sur Canal Plus, on nous propose "le Before" du "Grand Journal". Ou quand, sur I-Télé, le "Team Toussaint" accueille ses "guests" et ses "stars" dans la "newsroom". Salut à vous, Woodward et Bernstein du prochain "Canal+Gate" !

5. Les adorateurs d'internet

Lorsque je pense aux concepteurs, utilisateurs, adorateurs et profiteurs de l’internet, "my arms are falling" ou "I fall on my ass", comme on ne dit pas non plus en américain. Il y a là de quoi composer le "best of" du pire – oui, le "best of", puisque les locuteurs français n’ont plus, à leur disposition, ni le "meilleur", ni le "premier choix", ni le "florilège", ni le "recueil", ni l’"anthologie", ni une demi-douzaine d’autres substantifs ou locutions…

Voici donc le summum de la paresse des traducteurs, de l’agressivité des marchands, de la mauvaise foi des patrons et de l’imbécillité "standardisée"… Oyez, francophones ! Désormais, on "surfe", on "uploade" et on "upgrade" sur le "net", car rien n’est plus "high tech". On devient "geek", féru de "plugins", de "hotlines" et de "chats".

On s’amuse des "fakes" et des "hoaks" qui prolifèrent. On "like" à la folie sur Facebook. On "tweete" en gazouillant sur Twitter. On recense ses "followers". On devient plus "cool" ou plus "speed", selon les jours. On énonce "canceller" au lieu d’"annuler". On articule "switcher" à la place de "changer". On se gave de ces anglicismes en en espérant une rétroaction – un "feed back".

On se noie dans les "posts". Puis on quitte son "computer" et on file au "snack bar" ou au "Mac Do" avaler, en guise de nourriture matérielle, un "breakfast" ou un "brunch" aux "nuggets", au "pop corn" et au "ketchup". Un pur délice ! Le "best of" de la gastronomie… What else ? Un "American coffee" couleur jus de chaussette ?

N’importe : on trouve tout cela "fun" !... Lorsqu’on est "surbooké", submergé d’"e-mails", dans le "rush" au point qu’on ne gouverne plus son "dash board" et qu’on aurait besoin d’être "rebooté" soi-même ; lorsqu’on a si bien relevé le "challenge" de la modernité qu’on n’a même plus envie de "forwarder" les questions existentielles sur la toile, alors on sort les "airbags" et on comprend qu’on a réussi sa vie.

Je voulais vous raconter l’histoire du massacre de la langue française, dont je vous rappelle qu’elle est le bien commun de plus de 200 millions de personnes sur la terre, et qu’elle le sera de plus de 500 millions en 2050. Je vous ai tracé les lignes du scénario (je vous ai fait le "pitch"). À présent, j’avoue tout : je fais mon "coming out". Je descends au "parking" récupérer mon "pick up".

Je dois être ce soir au "camping" pour un "speed dating". Elle est ravissante : j’ai vu des "pics" d’elle "made in Photoshop". Nous avons entamé un dialogue plutôt "hot" sur "Messenger". Elle a écrit un poème pour mon "blog". Si ça se trouve, nous ferons des "babies" ensemble, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce qu’ils me diront le jour où ils me parleront en "basic franglish".

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